Ennemi Ouvert : Jean Philippe Simonnet

Leader Charismatique Moolinex 2011

“Moolinex … un artiste français dont le vocabulaire visuel semble inépuisable, est sans nul doute l’inconnu le plus accompli présenté par la maison d’édition alternative Le Dernier Cri.(…) Le fait que quelqu’un au talent aussi évident ne soit soutenu que par un tel groupe de renégats est un véritable témoignage de la xénophobie culturelle qui caractérise le monde de l’art.”

Doug Harvey (Artiste, conservateur, écrivain et critique d’art)

L.A. WEEKLY, Los Angeles – Août 2003


On en était là ! 260x195cm Moolinex (2017)

Il y avait quelqu’un qui s’appelait Duralex

Quand Jean-Philippe Simonnet naît à l’art au début des années 1990, le jeu du pseudonyme a saisi toute une génération de créateurs indépendants, croisant la musique, l’illustration, la bande dessinée. Paquito, Fredox, Duralex, après Hergé, Peyo, Moebius… Simonnet devient Moulinex, comme l’entreprise française homonyme, symbole d’un monde industriel dont Simonnet veut s’extraire

A l’évidence aujourd’hui, ce nom dit aussi quelque chose d’une oeuvre à venir, celle d’un artiste qui échappe à toute catégorisation, et transforme – mixe ?

– ce qu’il touche, voit, entend. Avec violence et douceur.

Flow-Pow

En 1992, à Nogent-sur-Marne, Moolinex crée avec un copain un premier fanzine, Flow-Pow, pied-de-nez au Flower Power des hippies. Brandissant le qualificatif de « banlieusard » comme un étendard guerrier, ils imposent à leur fanzine une esthétique Deluxe, un croisement de fanzine punk et des belles couvertures en couleur de Heavy Metal. L’aventure s’arrête assez vite, mais Moolinex est lancé. Il est embauché par la Fanzinothèque de Poitiers comme sérigraphe en 1995, et développe en même temps son propre travail, des dessins édités par Le Dernier Cri, une structure d’édition alternative alors située à Paris.

Comment on fait pour faire des Schtroumpfs toute sa vie ?

Avec des amis (Pierre Druilhe, Guillaume Bouzard et Olivier Besseron), Moolinex produit des scénographies pour des concerts, avec des peintures géantes. Tous les quatre rencontrent à Angoulême la première équipe des Requins Marteaux, Bernard Katou, Guillaume Guerse et Marc Pichelin, et s’installent avec eux en banlieue d’Albi, à Saussenac. En 1996, ils lancent la première revue Ferraille.

Ferraille a vocation à être un « Mickey trash », et Moolinex y inscrit sa série Flip & Flopi, consacrée à deux garnements dont la vie est faite de sexe et de conneries

Son dessin pose les bases d’une nouvelle BD ; les héros ne sont plus dessinés de la même manière d’une case à l’autre, comme chez Disney, Hergé ou Peyo. En changeant son dessin librement, selon le fil de la narration et l’évolution de ses personnages, Moolinex contribue à libérer la BD de la fabrication en série usinée, standardisée. C’est ce chemin que choisissent aussi de prendre d’autres auteurs de la même génération, on pensera à Konture ou Winshluss par exemple.

Moolinex ‘L’Army Secrete’ 2011
Le Danger ‘Le Grand Carnage’Musique : Julien Lepreux, Texte/Chant : Moolinex
Moolinex ‘L’Army Secrete’ 2011

Ne pas gâcher

De retour à Poitiers en 1998, Moolinex déniche « un vieux carnet jaunasse et pourri » dans le hangar du Confort Moderne et commence à y dessiner. C’est le début d’une longue série de carnets, faits la nuit. Ils sont imprimés au fur et à mesure par Le Dernier Cri, de 2000 à 2004, à 400-500 exemplaires. Chaque carnet s’intitule Art pute, terme que Didier Bourgoin définit comme la « narration ludique et cryptée de ses frustrations scolaires et tourments existentiels » . C’est le début, aussi, d’une prise de conscience importante qui oriente toute une partie de la production à venir : en utilisant des supports perdus, Moolinex s’affranchit de sa hantise profonde de « gâcher », héritée des périodes de vaches maigres de son enfance. Anciens livres d’enfants repeints intégralement, supports salis volontairement au café et au tabac…

Et le désir, toujours, de « ne pas avoir de main, de pli », d’échapper à toute forme de normalisation, d’habitude, qui enfermerait le dessin.

« Saint Clair, Saint Patron des brodeurs, protège tes brebis car elles sont tes soumises »

En 2003, Moolinex s’attaque aux canevas. Le canevas, c’est une pratique de loisir populaire avec des motifs gentillets ; Moolinex y injecte des aphorismes politisés, réalisés avec une palette révolutionnaire, rouge et noir : « Une bonne victoire, un bon bain de sang et au lit ! ». Le détournement de canevas n’est pas une pratique nouvelle (on pensera par exemple au Birth Project de Judy Chicago), mais pour Moolinex, il ne s’agit pas tant d’interroger l’inégalité de traitement des hommes et des femmes en matière de création, que de souligner la propension de l’homme à « faire de l’usine quand il est en loisir », tant la technique du point de croix est répétitive et demande le même type de concentration que celle du travail à la chaîne. En 2009, Moolinex expose ces oeuvres au Confort Moderne sous le titre Poing de croix. Il y intègre une nouvelle série de broderies sur tissu blanc, dérivée des napperons d’antan, qu’il pose sur des objets domestiques comme des armes à retardement. Du concentré révolutionnaire et de la provocation sexuelle en kit de décoration kitsch.

La Reponse Liège 2011

Sortir de l’underground

A l’aube des années 2010, Moolinex rencontre l’artiste Aurélie William Levaux, qui l’attire vers la Belgique et l’embarque dans plusieurs aventures dont celle de Johnny Christ et de La Réponse. Une parenthèse de « couple icône », dont Moolinex renaît déterminé à « sortir de l’underground » pour « que les gens voient (ses) travaux ».

Cette envie en croise une autre, celle d’affirmer une oeuvre, de lui donner une place, une durée (« faire du viable »).

Moolinex expérimente avec succès la transposition de ses dessins sur des grands papiers qu’il maroufle sur toile. Les mots claquent comme des slogans, et étrangement, alors que le déploiement des dessins en grand format rend leur dimension provocante encore plus évidente, les peintures de Moolinex se vendent, et une monographie se prépare aux éditions des Requins Marteaux. Quel inculte futur Moolinex nous réserve-t-il donc ?

Camille de Singly (Commissaire d’exposition, historienne et critique d’art ) 2017


Moolinex
Moolinex ‘Carnet Super Alcool’ 2000 / Images: Dominique Laveau 2011
Moolinex ‘Peur De Son Ombre’ 8 couleurs – MadSeries 2019

Moolinex / 195x260cm (2017) au MECA FRAC de nouvelle Aquitaine

INCULTE FUTUR

Moolinex est un ” dégueuleur ” d’images : publicité, mode, musique, rien ne lui échappe, tout est avalé puis régurgité pour nourrir le spectateur d’images fascinantes, le tout avec un humour décapant.

Moulinex à la Galerie Artset, 2016
Moolinex ‘Inculte Futur’ Agence culturelle Dordogne-Périgord, 2018
Moulinex à la Galerie Artset, 2016
Moolinex, 210x40cm (2016)

Le parcours de Moolinex se construit par la recherche et l’expérimentation, un cheminement qui le conduit à une perpétuelle remise en question. La prise de risque est son mot d’ordre, elle est la clef qu’il utilise pour déverrouiller les portes qui cloisonnent les univers de la bande dessinée, de la peinture, de la mode et de l’art contemporain. Il ébauche puis rectifie successivement les contours d’un monde singulier qui appartient à tout un chacun, produisant ainsi une oeuvre à la fois individuelle, collective, naïve, complexe, cruelle, drôle et triste .

A l’origine de son imaginaire il y a les comics. Des auteurs cultes de la scène underground comme Pyon, Paquito Bolino, Pierre La Police et surtout Gary Panter, associés à la fantaisie et la fascination pour la mort de l’iconographie populaire mexicaine. Moolinex est un ” dégueuleur ” d’images : publicité, mode, musique, rien ne lui échappe, tout est avalé puis régurgité pour nourrir le spectateur d’images fascinantes, le tout avec un humour décapant.

Moolinex 2018
Moolinex ‘La Prof De Chatte’ 2017 (peinture sur toile 210x140cm)
Moolinex ‘L’accident bête..’ 195x130cm (2017)

Pas de frontières esthétiques chez Moolinex, pas de techniques préétablies non plus. Tous les médiums et les supports sont bons à prendre : collage, typex, découpage, peinture, dessin, assemblages, canevas, vêtements… sont mis au service d’une iconographie ironique et distanciée. Après La Mauvaise Réputation à Bordeaux, l’exposition “L’Art Pute” de Moolinex fait escale à l’Art’s Factory de Paris proposant dans un foisonnement graphique, un violent tourbillon de sensations.

Florence Beaugier (Commissaire et directrice artistique de la Galerie LMR La Mauvaise Réputation à Bordeaux) 2005


ELEGANT RECORDS / Poitiers, France

AUTRE NOM POUR

MR. MOOLINEX !!

> Le Danger K7 (elegances records) 2014

> Mr Moolinex K7 (elegances records) 2004

Moolinex a beaucoup travaillé avec les Requins Marteaux et dernièrement pour Le Dernier Cri. De ” Flip et Flopi “, garnements à la bêtise lumineuse, à ” Noeud “, recueil d’images à la pesanteur bucolique, il ébauche les contours d’un petit monde singulier, à la fois cruel et faussement naïf (…) derrière une ironie distanciée, transparaît quelque chose de très simple et très drôle. Revue JADE (1997)

2019

Moolinex ‘Peur De Son Ombre’ 8 couleurs – MadSeries 2019

WTF? 49x57cm (2016)

Le porno, d’ailleurs, qu’est ce que ça veut dire ?

L’ordinaire atteint souvent le monumental ; On a tort de penser que l’univers des Comics est une fin en soi, un coffre fort avec des valeurs bien établies.

Benoît Decron, conservateur du patrimoine (Musée Soulage à Rodez et Musée d’Art Moderne et Contemporain MASC aux Sables d’Olonnes) 2013.

J’ai connu Moolinex à l’occasion d’une exposition que j’avais organisée sur le collectif Bazzoka, au musée de l’Abbaye Sainte-Croix, aux Sables d’Olonne. Immédiatement j’ai été fasciné par l’univers de ses carnets Art-Pute : la précision mécaniste, le dessin infantile, la débauche de couleurs, le radicalisme incantatoire des textes, le « je-m’en-foutisme » revendiqué, les crânes, les monstres, l’étalage de la sexualité… Plein d’autres choses singulières, une sorte de bric à brac furieux. Moolinex correspondait à l’idée trop facile du punk tombé dans le chaudron des fanzines. Depuis j’ai vu les grandes sérigraphies du Dernier Cri, des feuilles gouachées, les couvertures de Ferraille, les collaborations avec la Fanzinothèque, un album de pochettes de 45 tours, des tableaux au point de croix (“Nada”) … Moolinex peut tout faire : il est simplement doué. Il m’étonne.

Son épais recueil Hlm, dessiné et peint en 2001à Poitiers, dans son appartement de la Zup, est une somme qu’il fallait un jour éditer en fac-similé. C’est un codex, c’est-à-dire un manuscrit rare et illustré comme celui, antique et mystérieux, des Mayas : une bible régressive, un réjouissant enfer d’images. Hlm en rassemble de partout, de toutes les eaux, dans un désordre relativement cohérent : des personnages par séries, des Freaks, des masques, des machines et des véhicules, des paysages d’usine, des gros plans de corps…C’est contemporain et rigoureusement populaire.

Moolinex ‘Bannière !’ 210x140cm (2018)

La guerre de Moolinex s’impose comme une fête foraine, un carnaval.

Le tout dans un dévergondage de couleurs, criardes ou mièvres que n’auraient pas désavoué les peintres du Blaue Reiter ou de Die Brücke. Mais le négligé de l’ensemble est trompeur. Dans la violence anar, antisociale des carnets de Moolinex, il y a comme une aliénation nécessaire, positive. Il secoue le monde des pauvres et des riches, des crétins satisfaits et des gens de pouvoir, des bons sentiments et de la terreur. Il brouille les codes de l’enfance avec la gouache ou le crayon feutre ; colle et racole avec des juxtapositions peu orthodoxes Il s’amuse par exemple du monde du rock : Devo “Are we not men ?”, les chapeaux des pots de fleurs à l’envers ; Aero Deep Pink Zeppelin, un golem de rock seventies avance pour sortir de la page. Les corps sont infatués, enflés, lourdement sexués : une telle démonstration chancèle au bord de la franche rigolade. Moolinex multiplie la même image, avec des nuances (des dégradations) et l’accompagne de bribes, du texte en caractères bâton ou trash (des ratures, des taches). Les mots deviennent imprécatoires : on les ânonne avec les yeux. C’est du jargon (du même tonneau que celui inventé par Dubuffet). Les néologismes font florès, des titres. Ajoutons-y la science que Moolinex tire de la titraille gore, comme celle des couvertures des fumetti, comme les Diabolik des sœurs Guissani…

Moolinex + Fanzinotheque, Confort Moderne mademoiselle, 218

J’aime Hlm parce qu’on y trouve une inventivité sans frein, un chapelet d’images trempées dans une vulgarité désarmante. Beaucoup d’étudiants d’écoles d’art feraient bien d’y jeter un oeil. C’est décapant. On a parfois le sentiment de se plonger dans un cahier d’écolier avec ses feuilles quadrillées sur lesquelles gravitent des prodiges de foire, des poneys pervers, des pets, des étrons, des créatures lascives… Alfred Jarry et Raymond Roussel y croisent William Burroughs et Goldorak dans un Prisunic. Le porno, d’ailleurs, qu’est ce que ça veut dire ?

Moolinex fait l’apologie d’une chaussette à carreaux multicolores. L’ordinaire atteint souvent le monumental ; On a tort de penser que l’univers des Comics est une fin en soi, un coffre fort avec des valeurs bien établies. Parce que nous baignons dans le mass média, la réclame… Hlm ouvre à tous vents.

Moolinex

scelle dans l’œuvre de Moolinex une littéralité naïve, au cœur d’un empêchement fondamental. Poignant, au-delà de la dérision.

Quelques exemples. Je retrouve: du jeu avec les cartes du Mille bornes avec « Roucmoute », « Bouboule », de la sémantique routière déstabilisée par des mots ; des masques concentriques avec des bouches tordues et baveuses, des yeux inquiétants, comme ces dieux en colère du panthéon chinois ; des soldats qui marchent dare dare dans des villes stéréotypées, grand corps médaillés et petites têtes (bonjour l’Homme qui marche de Malevitch) ; des tanks, jouets,qui sillonnent ces mêmes villes comme à la parade. La guerre de Moolinex s’impose comme une fête foraine, un carnaval. J’y trouve aussi des cheminées et des toits d’usines avec des patrons géants comme des bêtes d’Apocalypse : le réalisme social et fantastique, en noir et blanc, du génial graveur Frans Masereel est ici involontairement rappelé. Les personnages de Moolinex exhibent leurs tares, leurs dégénérescences, comme caricatures du Poor Richard (Nixon) réalisées en 1970 par le peintre Philip Guston revenu de tout: tête de fesses, tête de couilles, membres tronqués ou interminables… un barnum de chairs qui nous stupéfie et nous fait rire à la fois. On pourrait multiplier les descriptions tant les images dans ce Hlm, ces visions chargées de mort, de sexualité, de hargne, d’enfance ou de franche gaudriole font sens. Moolinex, mélancolique se dessine à sa table de travail inspiré par un ange du bizarre, collé dans son dos. Sa table est encombrée de mille objets. C’est grave ?

A la fin, j’aime tout particulièrement l’association énergique d’une phrase, page de gauche “J’aime les gens morts”, associée, page de droite, à une gouache d’un chopper/vélo d’enfant avec son petit drapeau . Comme quoi tout est là, dans ce carambolage, et scelle dans l’œuvre de Moolinex une littéralité naïve, au cœur d’un empêchement fondamental. Poignant, au-delà de la dérision.

Moolinex

LDC Editions

Elegances Records

Galerie Arts Factory


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