Cavaliére De La Tempéte: Anne Van Der Linden

Van Der Linden

Avis à toi, inquisiteur au chômedu, je viens de dénicher la dernière sorcière de Seine Saint Denis ! Anne Van der Linden qu’elle s’appelle et je te jure sur la tête à Satan qu’elle n’a nul besoin de grimoire ni de baguette magique pour te marabouter. Une once d’encre de Chine, un fond de jus d’acrylique, une poignée de poils de pinceaux et basta ! Pas de quoi faire bouillir la marmite mais bien assez pour te faire frémir le chaudron. Crois moi, mieux vaut ne pas avoir peur du bûcher si tu veux avoir des messes noires. Quant au Sabbat ? Ben, ça vient…

Thomas BERNARD

Née de l’autre côté de la Manche à la fin des 50’s, Anne Van Der Linden a un parcours qui tient plus de la descente aux Enfers que de l’ascension de l’Alpe d’Huez; désertion du giron familial , carapatage loin des beaux arts, expos dans des squats, éditions alternatives, banlieue et précarité. Mais à chacun sa croix- même si c’est à l’envers qu’elle doit se porter – ça n’empêche pas notre Circé de la Zone de se tailler une (mauvaise) réputation à la force du poignet.

Jeune peintre vouant un culte à l’abstraction, elle se défroque viteuf pour la figuration licencieuse et rejoint volontiers ce cher club des hérétiques qui compte Frida Kahlo et Roland Topor comme membres honorifiques. Dès les années 80, elle se coltine la scène underground avec le chanteur et perfomer de l’Apocalypse Jean-Louis Costes pour qui elle réalise des pochettes de disques et des décors entre deux prestations dans des « comédies musicales porno sociales ». Son style s’affûte au fil des années de galère – le trait autrefois proche de la gravure s’affine et les coups de brosse gagnent en liberté – mais l’inspiration transgressive reste la même : des femmes au corps puissants, meurtrières et nourricières, s’adonnent à différents sévices sur des mâles rarement consentants. Des visions blasphématoires et sacrilèges sur fond de décors domestiques où la Miss Sade du 93 débite tous les tabous (torture, mutilation, infanticide cannibalisme, auto dévoration et zoophilie) comme d’autres égrènent leur chapelet.

Pour exorciser nos pulsions les plus inavouables, cette Sybille en ZUP décortique la nature humaine à même la toile, trifouille les viscères avec le majeur, gratte la plaie du bouts des ongles et appuie très fort histoire que le pus en sorte. Et ouais, notre âme comme la peinture, ça sent toujours un peu mauvais.


ANNE VAN DER LINDEN CAVALIÈRE DE LA TEMPÊTE

White Rabbit Prod > Cavaliére De La Tempéte


Si la bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe, ça m’étonnerait fort qu’elle rate ta bibliothèque friande de maléfices pour les mirettes. Abracadabra, voilà que les éditions White Rabbit Prod sortent sous peu la plus importante monographie consacrée à l’œuvre d’Anne Van der Linden. Cavalière de la Tempête que ça s’appelle et tu trouveras dedans une flopée d’images tarabiscotées de l’âme, une sarabande de tableaux à se damner, des ribambelles de dessins infernaux, une tripotée de documents inédits mais maudits, le tout emballé par des textes pointus comme une queue diable de Frederika Abbate, romancière, essayiste et critique d’art déviant. Alors enfourche ton balai et file direction la librairie la plus proche, après un sacrifice de 35 euros sur l’autel du vice, tu auras enfin ta dose d’ envoûtements et de magie.


Resource: Fluide Glacial 2020

Fluide Glacial


Claude Grunspan “Peaux d’Anne” 2017

En attendant, petit concile au clair de lune avec les deux autrices :

Anne, dans le livre, un large panorama de vos œuvres nous est présenté et l’on découvre que vous êtes passée par pas mal d’étapes avant de trouver votre style caractéristique. Quand avez vous mis en place votre touche ? J’ai lu quelque part que vous aviez même eu une période abstraite , pourquoi y avoir renoncer ?

Anne Van der Linden : « Ma touche a pas mal évolué depuis les années 90, et continue à évoluer, j’ai eu une période où j’appliquais la couleur de la même manière que j’applique l’encre de mes dessins, cad des touches longues et fines, superposées ou croisées. Depuis quelques années j’utilise des brosses plus larges pour une touche en aplats juxtaposés ou se chevauchant, cela donne des contrastes plus forts, et l’espace est construit comme une maçonnerie.

Ma période abstraite, comme l’explique très bien Frédérika Abbate dans le livre, était comme une mise à plat, une volonté de repartir à zéro et de laisser les choses venir sans projet précis, sans références, en laissant les pulsions diriger l’action sans que le cerveau n’intervienne. J’ai laissé tomber parce que le résultat ne me satisfaisait pas, ca me déprimait même.

Et puis j’ai changé de vie, je me suis retrouvée à vivre seule et ça m’a donné envie de raconter des choses, de cette manière je suis revenue petit a petit à la figuration, d’abord sommaire et ébauchée, puis de plus en plus précise. »

On retrouve tout de même des choses présente des vos débuts ; le corps, le trivial (objets du quotidien, des lieux communs comme la cuisine, la salle de bain) puis apparaissent les difformités physiques, les monstres et toute une symbolique. Quand et comment apparaît ce nouveau vocabulaire ?

AVDL : « J’ai du regarder mes livres pour répondre à cette question: à priori ce serait à partir des années 2000. Mais l’évolution est lente et ne part pas d’une décision préalable, donc c’est difficile de trancher sur une date précise, ça peut venir d’un livre que j’ai lu, d’un texte que j’ai illustré, ce qui est sur c’est que j’ai toujours été intéressée par les mythologies, ce genre de représentation est dans la continuité de mon intérêt pour le corps et son langage, ce qu’on retrouve dans les mythes quelle que soit la période et la culture. »

Vos images sont très narratives. N’avez vous jamais eu envie d’en écrire ?

AVDL : « J’écrivais un peu à l’époque de la Vache bigarrée, j’avais un gout pour la littérature et des facilités, mais ce qui constituait finalement un handicap, pas réussi à me débarrasser des acquis, alors qu’avec l’image je partais pratiquement de zéro, j’ai pu formuler ce que j’avais en tête ou que je ressentais, d’une manière qui corresponde exactement à mon sentiment intérieur. »

L’undergound est il une terre d’asile favorable à une pratique de la peinture aussi radicale que la votre ?

AVDL : « Oui carrément! c’est idéal. On peut aussi créer dans son coin comme le font les artistes bruts ou outsider, l’avantage dans l’underground est qu’il fonctionne en réseau, c’est une micro société où les gens se connaissent tous, échangent leurs productions et leurs avis, c’est très stimulant, et très libre, il y a a un niveau de tolérance qu’on ne trouve pas ailleurs. C’est d’ailleurs aussi une des raisons d’être de l’underground, donner l’occasion aux artistes de s’exprimer librement. »

Vous sentez vous proche d’une certaine scène artistique alternative ? La quelle ? Vous sentez vous proche d’autres artistes ?

AVDL : « Comme je disais précédemment, je suis proche de cette scène liée à l’édition sérigraphie ou l’édition alternative comme Le Dernier Cri ou Bazooka , White Rabbit Prod, Bongoût, ou d’autres artistes éditeurs en France, au Danemark (Cult Pump), en Allemagne , au Portugal, aux USA avec l’art outsider, et d’autres. On se côtoie, on travaille ensemble, on s’éloigne mais on reste en connexion, surtout avec les réseaux sociaux, que ce soit en France ou à l’étranger. Ceci dit j’aime aussi le travail d’artistes qui ne sont pas « underground », j’aime toutes sortes d’artistes en fait, mon goût me porte plutôt vers la figure, il faut que l’image me raconte des histoires. A partir de là le champ est vaste. Je travaille aussi avec des poètes, j’aime bien dessiner en relation avec des textes, c’est très inspirant. »

Avec Allemane, vous avez créé la revue Freak Wave. C’est important pour vous de mettre en avant et de défendre le travail d’autres artistes ?

AVDL : « Oui, j’ai vraiment aimé faire ce travail de recherche d’artistes qui m’intéressent, et les mettre en valeur en les éditant dans la revue Freak wave était très satisfaisant. Une manière aussi de trouver une résonance avec mon propre travail.Ce fut une passionnante expérience, mais qui ne peut avoir qu’un temps si on veut aussi se consacrer à sa propre création. »

Frederika, quand et comment avez vous rencontré le travail d’Anne  ?

Frederika Abbate : «C’est Nicolas Le Bault qui m’a fait connaître la peinture d’Anne Van der Linden en me disant que c’était une artiste qu’il aime beaucoup et depuis longtemps. Cela doit faire quelques années et la rencontre s’est faite, si je me souviens bien, d’abord de manière livresque. J’ai été immédiatement fascinée et la première toile sur laquelle s’est portée mon attention est Couik  ! qui est pour moi très emblématique de son œuvre, comme cela est développé dans un chapitre de mon livre. Vous avez là le court-circuit, qui est sa marque de fabrique  : la curiosité de voir en l’autre se traduit dans sa peinture par le fait de l’ouvrir en deux, non pour le blesser mais pour surmonter la barrière entre soi et autrui. Et vous avez là aussi le mystère de la sexualité, le fait d’être humain sexué, coupé de l’autre sexe mais qu’on est aussi un peu. Car ce personnage est coupé en deux moitiés, une mâle l’autre femelle… En découvrant sa peinture, je me suis dit tout de suite que j’écrirai un jour un texte sur elle.

Ensuite, je l’ai vue à un vernissage d’une exposition qui n’était pas d’elle. Je connaissais son visage mais elle, elle ne me connaissait pas. Mais elle est venue vers moi et m’a donné une invitation parce que m’a-t-elle dit alors elle trouvait mon visage sympathique. J’étais contente parce que je n’avais pas osé l’aborder et j’ai alors saisi l’occasion pour lui dire que j’aime beaucoup son art.

J’ai vu pour la première fois en vrai ses premières peintures lors du vernissage de l’exposition Zoo en 2018 à la galerie Corinne Bonnet. J’ai un rapport très direct à l’art. Les œuvres me parlent (ou non). Et là, s’est engagé une sorte de dialogue en amont des mots, entre chaque toile que je regardais et moi, chaque dessin. J’avais l’impression d’entrer dans l’image, cette image m’accueillait. Je n’entendais plus ni ne voyais plus les gens autour alors qu’il y avait du monde, puisque c’était le vernissage. J’avais l’impression à la fois de découvrir quelque chose de radicalement nouveau et d’être aussi comme dans un univers dans lequel je me reconnaissais, qui me disait des choses réconfortantes. Je crois que c’est cela une grande force de son art  : il apporte du réconfort. Non pas parce que c’est cruel mais parce que c’est cru, les choses importantes sont enfin dévoilées. »

Cavalière de la Tempête compile non seulement des premières toiles inédites et des œuvres récentes en plus d’ un texte de présentation de l’oeuvre d’Anne mais aussi une longue biographie découpée en plusieurs étapes. C’était important pour vous de revenir sur toute la vie et la carrière d’Anne  ?

F.A : « Oui, très important, parce que quand on aime un artiste, un écrivain, on a envie d’être proche de lui, de connaître les données fondamentales de son parcours. J’ai envisagé sa vie comme j’envisage la mienne propre, c’est-à-dire axée uniquement sur l’art, comme l’écriture pour moi. J’ai voulu remonter à la source en quelque sorte. Rien de ce que vit un artiste est anodin, comme pour chacun d’ailleurs sauf que chez l’artiste cela laisse des traces visibles. Il n’y a rien d’anecdotique, de superficiel dans la trajectoire biographique dans le livre. Tout est en rapport avec sa peinture. Le cœur d’un artiste c’est sa création, rien d’autre. Et Anne Van der Linden peint avec sa vie, dès le début déjà où elle peint elle qui se cherche, sa famille. L’artiste a des antennes très affûtées et tout ce qu’il ressent du monde se mélange à sa vie propre. Sa vie propre passe dans sa création qui, à son tour, influe sur le cours de sa vie. C’est un chassé-croisé tissé très finement, ce qui se passe entre sa vie et sa création, entre sa création et le monde, l’air du temps, les violences du monde, comme aussi son rapport avec son public.

Cette vie, je l’ai traitée en romancière. Le roman a l’avantage sur la vie d’être concis, rapide,et de mettre du sens. C’est l’écriture qui permet l’ordonnancement, l’attrait. Anne en lisant le texte m’a dit une chose très belle qui m’a fait un grand plaisir, qu’elle était captivée par sa propre histoire. C’est pour moi un grand compliment. Si elle a dit cela, c’est que l’écriture a opéré une mise à distance entre elle et elle mais cette mise à distance est un rapprochement en vérité, une intimité plus profonde et un éclaircissement permis par les mots, par ma compréhension des choses. Et cela captivera aussi les lecteurs  ! »

Les toiles d’Anne sont bourrées d’histoires, retrouvez vous un peu des vôtres dans les siennes  ?

F.A : « Mon univers propre est très proche de celui d’Anne Van der Linden. Je me sens en intimité vive avec ses œuvres  : par le traitement du corps, de l’amour, de la sexualité, par le mystère de l’altérité qui nous captive. »


Thomas Bernard
Le Bourg, 24320 CHAPDEUIL
0784284135
pour FERRAILLE PRODUCTION
www.ferrailleprod.com
°Cathacrèseur d’Art Contemporain
pour FLUIDE GLACIAL
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°Apophtegmique en Bande Dessinée
pour ActuaBD
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°Anacoluthier pour la Véranda
laveranda.bigcartel.com


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