Valium For Ever: Entretien d’Henriette Valium avec Xavier-Gilles Néret (2018)

Henriette Valium

“Parce que je trouve que l’humanité actuellement est trop débile, et qu’on va attendre une autre civilisation.”

Henriette Valium


Cet entretien avec Henriette Valium a eu lieu à Paris le 8 septembre 2018, en tête à tête lors d’un déjeuner dans un bistrot, à l’occasion du séjour en France de l’artiste pour fêter les vingt-cinq ans du Dernier Cri. Le soir même, il participa au concert accompagnant la projection du film Mondo DC au Cirque Électrique. Il m’offrit en arrivant un collage que nous évoquons dans l’entretien. J’ai tâché dans cette retranscription de rendre avec fidélité la substantifique moelle d’une parole vivante et généreuse, indissociable en mon souvenir d’un délicieux accent québécois, d’un regard bleu pétillant et d’un sourire malicieux.

Interviewé par Xavier-Gilles Néret, 2018

Photographie de Marc Tessier, 2023

*Cette interview est un extrait du livre Henriette Valium, qui sera publié par LDC dans les prochains jours.

Xavier-Gilles Néret : Pakito Bolino m’a dit qu’il était venu te voir au Québec en 1990. Et il m’a raconté que s’il a fait Le Dernier Cri, c’est à cause de toi ! « C’est ta faute », comme il dit !… Parce qu’en allant à Montréal, il a vu un homme vivant dans un lieu qui était à la fois son domicile, son atelier de sérigraphie et son studio d’enregistrement… Et en rentrant en France, il s’est dit : il faut que je fasse la même chose ici, ainsi je serai libre.

Henriette Valium : Oui, c’est exact… Cependant on n’est jamais vraiment libre…

Henriette Valium & Pakito Bolino, In the memory of good old days – Le Salon Vendetta & le festival Vendetta ta-ta-ta / Photo by Marc Tessier, 2023

Mais pour lui, avoir un lieu où tu peux travailler et produire en autonomie, ça donne vraiment une liberté…

Oui, absolument.

Te souviens-tu de votre première rencontre, et de la manière dont ça s’est passé ?

Oui. En fait, ce n’était pas notre première rencontre, mais c’était la première fois qu’il venait à Montréal. À l’époque je travaillais à mon compte, comme sérigraphe, pour des bars et des groupes de rock, de musique, essentiellement. Ils venaient chez moi faire imprimer leurs affiches. La technologie numérique n’était alors pas encore tout à fait ce qu’elle est aujourd’hui. Donc j’avais là une fenêtre de business, je faisais une bonne paye. En fait, cet atelier m’est tombé dans les mains par hasard. Moi, au départ, je travaillais dans un club de spectacles qui s’appelait Les Foufounes Électriques, et j’étais graphiste. J’avais un ami qui étudiait la sérigraphie, Bruno Guay, et c’est lui qui a eu l’idée initiale. Dans l’enseignement de la sérigraphie, on ne se sert pas de produits à l’huile, avec des solvants, comme ceux utilisés pour faire de la sérigraphie commerciale, et il avait donc été formé avec des produits à l’eau. Mais les produits à l’eau, c’est très limité quand tu arrives sur le marché de la sérigraphie : tu ne peux pas faire plusieurs passages, le papier gondole, de sorte que la plupart des gens qui font leur business là-dedans utilisent la sérigraphie à l’huile. Je te parle surtout des grandes affiches en couleur. Et il avait eu l’idée de faire les affiches des Foufounes Électriques en sérigraphie, mais à l’eau, parce que c’est le plus souvent du noir et blanc, c’est très rare qu’on mette de la couleur. Bruno me demande 1500 dollars canadiens, peut-être l’équivalent de 1000 euros, et comme le patron n’avait pas d’argent, je les ai empruntés à un ami. Bruno installe donc son atelier dans le club. Sauf que quand il est arrivé, il a commencé à picoler, il n’assurait pas, et moi j’étais pris entre l’ami qui voulait son fric et les clients qui commençaient à m’appeler, parce qu’ils attendaient les affiches qu’ils avaient payées… Et moi, qui ne connaissais absolument rien à la sérigraphie, j’ai dit à Bruno que je prenais ça en main. Mon idée, c’était de ramer le temps de rembourser ma dette, et de foutre ça par la fenêtre. Mais une fois que je me suis mis à faire rouler la chose convenablement, tous les bars ont rappliqué, tu comprends…

Le Salon Vendetta & le festival Vendetta ta-ta-ta / Photo by Marc Tessier, 2023

“…eh bien pour les critiques de l’époque, c’était la fin du monde, c’était la fin de l’art. Relis ça aujourd’hui… Et pour un paquet de trucs c’est la même chose. Donc dans cent ans les gens vont voir mes trucs pornos et tout le monde va être à poil !…”

Et tu y as pris goût aussi…

Ben oui, mais c’est parce que tu fais du cash… Au départ, donc, je n’étais pas sérigraphe, c’était pour régler la dette initiale, mais finalement j’ai vécu là-dessus pratiquement quinze ans. À un moment donné, je me suis dit : bon, vu que personne ne veut imprimer mes bandes dessinées, je vais les imprimer avec ça. J’ai fait de l’autoédition, des gros livres qui sont aujourd’hui introuvables. C’était dans les années 1990. J’ai imprimé des BD que j’avais faites dans les années 1980. Mais il faut dire que moi je n’ai pas l’énergie de Pakito. Et vers les années 2000, suite à des problèmes matrimoniaux, il s’est trouvé que j’ai arrêté tout ça…

Et donc, la rencontre avec Pakito…

Il est arrivé à Montréal en 1990 avec de l’argent dans les poches, on a fait un disque, et aussi un livre avec le matériel sérigraphique. Et c’est là qu’il a eu l’idée de se monter un studio à lui en France. Parce qu’il a réalisé qu’en travaillant à l’eau, la sérigraphie est beaucoup plus accessible comme médium. Quand tu imprimes à l’huile, avec des solvants, il faut de la ventilation, c’est un autre monde, mais à l’eau, tu peux faire ça dans ta cuisine, c’est vraiment simple. Alors évidemment, tu as plus de limites, mais tu peux arriver à faire quelque chose. Lui, il fait ça bien !…


Caro Caron

Et tu l’avais déjà rencontré avant qu’il ne vienne au Québec…

Oui, à Angoulême, un ou deux ans avant, je ne me souviens plus trop de la date. Lui, il étudiait aux Beaux-Arts, à Angoulême, à ce moment-là. C’est là que je l’ai rencontré la première fois. On m’avait donné son adresse, pour aller dormir chez lui. On est arrivés à trois heures du matin, en pleine nuit…

Donc il t’a accueilli…

Oui, il n’a pas eu le choix ! Mais c’était bien, on a fraternisé tout de suite.

C’est quelqu’un qui a le sens de l’hospitalité…

Oui, absolument. Et moi, j’étais venu à Angoulême pour le festival québécois de la jeunesse, et j’étais supposé rester sur le stand du Québec, mais je suis resté avec Pakito. C’était l’époque où il faisait Les Amis, je pense. Je me suis tenu avec eux, tout le temps que j’étais là, et je n’ai pas été très présent sur le stand du Québec…

Et il t’a donc dit, bien plus tard, que c’était « à cause de toi » qu’il avait fait Le Dernier Cri…

Oui, exact. Mais c’est normal. Ça prend toujours du recul pour comprendre, parce que quand tu es dans le feu de l’action, ça roule, c’est par après que tu te dis : ah oui !… Mais tout ça est donc dû au hasard, parce que moi je ne pensais jamais être sérigraphe…

Les hasards de la vie…

Exactement.

Avant, tu faisais déjà de la bande dessinée…

Oui, ma première bande dessinée, j’avais dix-sept ans, et je l’ai détruite, parce que j’ai eu une phase, avec la mère de mon premier fils, où je ne pensais pas trop être un artiste. Ça a duré un an, et après le naturel est revenu au galop, et je suis devenu ce que je suis aujourd’hui.

Laure Phelin / Avril (Covid-19) 2020

Si tu devais te caractériser comme artiste, dirais-tu que tu es un auteur de bandes dessinées, ou dirais-tu autre chose ?

Pour commencer, on m’identifie beaucoup comme un bédéiste. Mais je fais aussi de la peinture, qui n’est pas vraiment de la peinture en réalité, en tout cas au sens classique de la peinture avec pinceau et toile. Ma BD, elle se rapproche souvent de Bosch plus que de Gotlib. Et puis je fais aussi de la musique, mais je ne me considère pas non plus comme un musicien. Je fais des collages musicaux. Je suis un peu dans ce qu’on appelle le Dark Ambiant. Ça donne des ambiances, souvent smooth, bizarroïdes, étranges, toujours anxiogènes. J’ai une identité qui est Henriette Valium, et j’en ai une autre comme colleur musical, c’est Laure Phelin. En fait, c’est le nom que j’aurais voulu avoir comme bédéiste, mais il était trop tard. Parce que pour mon nom, j’ai été baptisé. C’est quelqu’un qui m’a dit : appelle-toi Henriette Valium…

Caro Caron / Le Salon Vendetta & le festival Vendetta ta-ta-ta / Photo by Marc Tessier, 2023
Le Salon Vendetta & le festival Vendetta ta-ta-ta / Video record by Marc Tessier, 2023
Caro Caron / Le Salon Vendetta & le festival Vendetta ta-ta-ta / Photo by Marc Tessier, 2023

Pourquoi « Henriette Valium » ?

On faisait des fanzines, des petits recueils de bandes dessinées en photocopie, dans les années 1980, et puis à un moment donné on avait quelques filles qui étaient artistes avec nous. Dans ces années-là, beaucoup d’artistes se donnaient des noms loufoques ou bizarroïdes, et quand tu as dix-neuf ou vingt ans tu veux suivre le train, on n’échappait pas à la règle. On s’est dit : les filles vont signer avec des noms de gars, et les gars avec des noms de filles. Comme ça, juste pour s’amuser. Et moi comme je n’avais aucune idée, un ami m’a dit : eh bien, appelle-toi Henriette Valium. Ah, bon, ok. Et c’est resté comme ça. Ça devait être temporaire, mais les gens se mettent à te connaître sous ce nom-là : ah, c’est lui Valium !…

Et ça te plaît, ou tu regrettes ?…

Non, disons que j’ai fait la paix avec ça. Parce que dans les années 1990 j’ai voulu, comme certains le font, revenir à mon vrai nom, mais finalement c’était trop tard, toutes les entrées sur le web, c’est Henriette Valium.

Comment t’appellent les gens, ou tes amis ?

En général ils m’appellent Valium.

Tu parlais de fanzines. Et le mot graphzine, est-ce que tu l’as entendu au Québec ?

Un peu. Mais en général je te dirais qu’on fait moins de distinctions au Québec. Quand tu évolues dans un milieu de libraires, le graphzine, ils savent ce que c’est. Mais en général on parle plutôt de « fanzine », mot qui regroupe tout ça. Il y a le roman graphique qui est arrivé aussi. Mais pour moi, personnellement, ces distinctions sont un peu abstraites. Comme je suis un créateur, pour moi le jeu de départ est le même au fond, c’est juste que ça prend une forme différente à l’autre bout.

Et par exemple, te souviens-tu de Casual Casual, un zine canadien des années 1980 qu’éditait Peter Dako à Toronto ? Tu y as participé, il me semble…

Oui. À l’époque, tout ça se passait par la poste. Il fait partie des rares qui m’ont édité à ce moment-là. J’aurais fait n’importe quoi pour être édité par exemple par Raw, à New-York, et ils ont fini par me répondre à un moment donné… En fait, ce qui est arrivé, c’est qu’au début des années 1990, j’étais extrêmement découragé de faire de la bande dessinée. J’y avais passé énormément de travail, et évidemment avec mon style, j’étais inéditable à Montréal – je le suis toujours de toute façon… Bon, aujourd’hui, évidemment, j’ai fait la paix avec ça, mais j’ai longtemps nourri beaucoup de ressentiment. Quand tu mets un tableau au mur, même si tu l’as vendu pour des peanuts, il fait son travail. Mais la bande dessinée, il y a à la fin du processus un éditeur qui lui a un droit de vie ou de mort sur ce que tu fais, et une bande dessinée qui n’est pas publiée, tu peux toujours l’exposer comme de l’art séquentiel ou quoi que ce soit, l’important c’est d’en faire un livre. J’étais donc très découragé à l’époque, et j’écrivais à Raw, beaucoup, à Fantagraphics et à d’autres, et à un moment donné, je me suis tanné, et je me suis dit : je vais donner un dernier coup. J’ai imprimé un énorme livre, en cinquante exemplaires, vraiment celui-là c’est une pièce de collection, avec seize pages en anglais et seize pages en français, en sérigraphie, et puis je l’ai posté à plusieurs éditeurs, dont Raw. Mais pour Raw, j’ai pris un gros marker et j’ai couvert chaque page d’insultes : you fucking asshole if you don’t answer me it’s the last fucking time I send you my stuff… Et j’ai reçu une lettre : sorry, we can’t print you, but etc. Mais c’est Fantagraphics qui a sauvé ma BD, et j’ai continué à en faire parce qu’ils m’ont dit : d’accord, on va imprimer Primitive Crétin. Et j’ai dit : attendez, d’abord je vais le gonfler à soixante pages, parce que je n’en avais à l’époque qu’une trentaine et je trouvais que ce n’était pas assez. Donc finalement j’ai continué à faire de la BD. Mais de toute façon, j’aurais continué pareil. La bande dessinée, c’est pour moi comme une maladie d’obsession-compulsion, un peu comme un héroïnomane. Dans mon cas, c’est une relation d’amour-haine depuis le début. Parce que c’est beaucoup de travail, et en même temps, l’art en général considère ça de haut : la bande dessinée, ce ne serait pas sérieux. C’est peut-être un peu différent en Europe, ou ça a évolué, mais en tout cas, à l’époque, dans la sphère américaine, les bédéistes étaient considérés comme des ados attardés…

Le Salon Vendetta & le festival Vendetta ta-ta-ta / Photo by Marc Tessier, 2023

Et donc, Casual Casual, tu le connaissais…

Je ne l’ai jamais rencontré. On a correspondu, beaucoup. Et à un moment donné on s’est perdus de vue. Mais il faut dire que moi, je suis quelqu’un d’assez négligent pour faire des suivis… Par exemple, dans ces années-là, nous avons fait Iceberg, 6 numéros, et ensuite Motel, 6 numéros. Et à un moment donné, j’ai arrêté, parce que je me suis davantage concentré sur mon travail à moi. Je n’ai pas beaucoup d’énergie dans un travail collectif. D’autres artistes n’ont pas la même cadence de production. Moi j’étais vraiment épuisé par ça. Tu es toujours en train de pousser dans le dos d’un mec qui a peut-être plus de talent que toi mais qui n’a pas la passion…

Le Salon Vendetta & le festival Vendetta ta-ta-ta / Photo by Marc Tessier, 2023

Et pour toi, qu’est-ce qui est le plus important : les choses imprimées, ou les originaux, ou les deux ?

Je suis old school, ce qui est important pour moi, c’est l’original. Je fais encore mes originaux sur papier. Parce que je tiens à ce qu’il y ait une trace. L’original considéré de manière électronique c’est un concept que je n’ai pas encore assimilé complètement. Je connais des artistes qui font une production essentiellement par ordinateur. Moi, je fais une planche que tu peux encadrer et mettre sur un mur, comme un tableau.

L’original, pour toi, a plus de valeur que l’imprimé…

Oui. Évidemment, ça dépend aussi de la manière dont tu travailles… Je parle pour mon travail. J’imagine que pour d’autres, c’est différent… Si tu n’as pas d’original, et que tout est dans ton ordinateur, au final j’imagine que c’est l’imprimé qui compte le plus, je ne sais pas.

Le Salon Vendetta & le festival Vendetta ta-ta-ta / Photo by Marc Tessier, 2023

Il y en a pour qui l’original est un document de travail afin d’aboutir à l’imprimé. L’œuvre, c’est l’imprimé.

Non, pas pour moi. Par exemple, je travaille ces temps-ci sur Nitnit, donc « Tintin » renversé. J’aurais très bien pu le faire au complet par ordinateur et me contenter de réaliser des micro-collages pour scanner le tout, mais j’ai fait des originaux, uniquement pour avoir une plaquette, qui était complètement inutile en un sens, parce que quand je suis sur Photoshop je reprends aussi l’image au complet.

Dirais-tu que tu es un obsédé de l’image ? Par exemple, achètes-tu des livres, voire les collectionnes-tu ?

Oui, je suis un obsédé de l’image, mais je ne suis pas un collectionneur de livres. Je suis plus quelqu’un qui va attraper. Si une occasion se présente, je l’attrape. Mais ça dépend. Par exemple, j’ai en ce moment un autre projet de bande dessinée à partir de super-héros américains, et donc je sais qu’à un moment donné il faut que j’aille dans une librairie ou que je trouve un lot de vieux super-héros en noir et blanc. Mais, en général, j’ai fait des collages à partir de livres que j’ai trouvés dans des ruelles à Montréal, où parfois tu tombes sur des boîtes avec plein de livres, et j’en attrape un qui est magnifique. C’est rare qu’intentionnellement j’aille acheter un livre. J’ai aussi fait à un moment donné des collages complètement numériques, mais ça ne me plaît pas, et je suis revenu aux ciseaux, au papier et à la colle. Quand tu es devant ton ordinateur, c’est à la fois trop, parce que tu as des possibilités infinies, et pas assez, il manque quelque chose. Tandis que le collage conventionnel, analogique si on peut dire, t’impose des limites mais qui font que tu arrives à des résultats que tu n’as pas avec l’ordinateur… En tout cas, ce sont deux mondes, complètement.

Le Salon Vendetta & le festival Vendetta ta-ta-ta / Photo by Marc Tessier, 2023
Le Salon Vendetta & le festival Vendetta ta-ta-ta / Photo by Marc Tessier, 2023
Le Salon Vendetta & le festival Vendetta ta-ta-ta / Photo by Marc Tessier, 2023
Le Salon Vendetta & le festival Vendetta ta-ta-ta / Photo by Marc Tessier, 2023

Et le collage de la série Notre élite que tu m’as donné aujourd’hui, peux-tu m’en parler ?

Au départ, j’avais fait les Curés malades. Il y avait eu des articles sur les curés pédophiles, au Québec, j’ai pris des portraits de curés et j’ai fait des collages noir et blanc, que j’ai imprimés sur acétate, c’est-à-dire à la photocopieuse, sur des transparents, en les agrandissant, ensuite j’ai peint à la gouache, et j’ai ajouté derrière d’autres collages avec des photos de revues pornos. Il y en a vingt-cinq, mais je ne voulais pas les séparer, mon projet était de faire une sorte de jeu de cartes. Pakito l’a imprimé. Et suite à ça, j’ai fait une autre série de collages, Notre élite, avec la même méthode, mais cette fois-ci à partir de photos du dictionnaire Larousse, en me disant que ces collages-là je pourrai les vendre à l’unité. J’en ai fait quand même peut-être soixante-dix, ou quatre-vingt, et il doit m’en rester une trentaine. Je garde les meilleurs pour moi. J’en ai emporté huit à Paris, dont celui que je t’ai offert.

Donc tu aimes bien tes images, si tu les gardes.

Oui. Mon dernier tableau est une belle pièce, qui est dans une boîte, et mon idée serait de creuser un trou, d’y couler une tonne de béton, d’y placer le tableau, et de le recouvrir d’un sarcophage, pour faire une espèce de tableau-tombeau. Parce que je trouve que l’humanité actuellement est trop débile, et qu’on va attendre une autre civilisation. Je ne l’ai pas fait, il n’est pas enterré, mais il est dans une boîte, en haut de mon atelier, rangé. On peut le voir, éventuellement. Mais je ne cherche pas à faire d’exposition. C’est mon mécène qui organise ça. Mais lui, il me présente essentiellement comme un bédéiste.

Henriette Valium 2015

“Tu comprends ce que je veux dire ?

J’essaie de trouver une formule permettant d’avoir cette espèce de questionnement…”

Depuis combien de temps as-tu ce mécène ?

Une dizaine d’années. Quand il est arrivé, il me donnait de l’argent, et il prenait ce qu’il y avait sur la table. À un moment donné, il me dit : tu devrais faire des tableaux-bande dessinée. Je n’aurais pas dû accepter, mais, bon, j’ai dit oui. Alors je fais des tableaux-BD, qui ne sont pas pour moi le plus intéressant. C’est sûr que ça peut être impressionnant pour quelqu’un qui est extérieur, mais pour moi, c’est vraiment de l’alimentaire. Quand je travaille, j’ai besoin d’un challenge… Par rapport à des choses comme celle que je t’ai donnée, un tableau-bande dessinée ne te permet pas une seconde lecture, c’est du premier degré, c’est peut-être un peu funky ou underground, mais il n’y a pas le malaise que tu peux avoir avec ce genre de portrait-là, déformé avec du porno à l’arrière, ce qui t’invite à aller plus loin. J’essaie de trouver une formule permettant d’avoir cette espèce de questionnement-là dans un tableau-bande dessiné, mais je n’y suis pas encore arrivé… Tu comprends ce que je veux dire ? Par exemple, à un moment donné, j’ai fait un gros dessin de Goebbels avec sa famille. À mes yeux, c’est bien plus intéressant qu’un tableau-BD avec des tronches débiles et tout le reste, mais sans rien derrière.

Et en as-tu fait beaucoup des tableaux-BD ?

Oui, quelques-uns. C’est ce que mon mécène prend, parce qu’en plus il n’est pas tout seul, il y a sa femme avec lui. C’est un milieu très conservateur, surtout au Québec. Déjà, le fait qu’il m’aide, moi, c’est un peu bizarre. Mais bon, il le fait, parce qu’il apprécie mon travail. Mais les belles pièces, il ne les voit pas passer, je garde tout. Ça ne l’intéresse pas, parce que ce n’est pas vendable. Lui, il dit que ce sont des pièces de musée. Et je me suis pris la tête à un moment avec sa femme, parce qu’elle n’était pas d’accord qu’un artiste, par exemple, utilise de la pornographie pour la mettre dans ses œuvres : il est malade ce type, il ne respecte rien. Mais il ne faut pas oublier que tout ça évolue. Prenons Courbet, l’un de ses premiers tableaux, Un enterrement à Ornans, où il s’est mis à peindre ce qu’il voyait, et non plus des tableaux mythologiques, eh bien pour les critiques de l’époque, c’était la fin du monde, c’était la fin de l’art. Relis ça aujourd’hui… Et pour un paquet de trucs c’est la même chose. Donc dans cent ans les gens vont voir mes trucs pornos et tout le monde va être à poil !…

Y a-t-il des pièces à toi dans des musées ?

Non, pas encore. Tu sais, c’est vraiment plus une question de connexions que de talent. Même mon mécène, par exemple, il a fait un encan, récemment, à Toronto. Et alors tu vois comment ça fonctionne : lui il achète du Valium, qui a priori ne vaut rien par rapport au marché de l’art, ils organisent un encan, ils proposent une de mes pièces, ils mettent des mecs dans la salle pour monter la mise, et lui il rachète le tableau par personne interposée, de sorte que maintenant, j’ai une cote. Par conséquent, tout ce que lui a de moi a augmenté. C’est comme ça que ça fonctionne en fait. Le talent n’a aucun rapport. En général, dans le gang des artistes, tu vas prendre celui qui te fait la cour, qui va être le plus malléable. Pour en revenir à mon mécène, il a voulu modifier mon travail, en me disant : ah, tu devrais faire ci, tu devrais faire ça. Je lui ai accordé une seule concession, en faisant des tableaux-BD, mais c’est tout, j’ai refusé toutes ses autres demandes. Par exemple, faire de beaux petits tableaux avec des couleurs. Non, il y en a d’autres qui font ça mieux que moi. Dans mon cas, c’est une pulsion, une obsession-compulsion, ça n’a aucun rapport. Je n’ai jamais eu aucune visée esthétique. Dans un certain sens, le collage que je t’ai donné, ce n’est pas beau, mais en même temps le résultat est classe.

Le Salon Vendetta & le festival Vendetta ta-ta-ta / Photo by Marc Tessier, 2023

“Selon moi, nous les humains, on produit des objets de plus en plus complexes et aboutis, mais on termine l’époque antique de notre histoire. On est partis de la pierre taillée, et on a maintenant des ordinateurs, des Lamborghini, mais la structure sociale pyramidale n’a pas changé depuis les débuts.”

La politique, est-ce important dans ta vie, et, éventuellement, dans ton travail ?

Bonne question… Je te dirais, la politique locale, comme par exemple toutes les questions de souveraineté nationale du Québec, ces histoires-là, aucun intérêt. Moi j’ai été saoulé complètement par mes parents qui étaient des indépendantistes de type stalinien. Eux, ce sont des syndicalistes, et moi, j’ai vécu là-dedans, dans un univers politisé. Mes parents, ici, en France, ce seraient des communistes. Mais moi, je ne vais pas voter, je n’en ai rien à chier. En revanche, j’ai une fascination par exemple pour les personnages du Troisième Reich, du Reich nazi, des trucs comme ça. Je fais comme un constat permanent d’un truc qui se répète à l’infini. Selon moi, nous les humains, on produit des objets de plus en plus complexes et aboutis, mais on termine l’époque antique de notre histoire. On est partis de la pierre taillée, et on a maintenant des ordinateurs, des Lamborghini, mais la structure sociale pyramidale n’a pas changé depuis les débuts. Et la vraie révolution va être écologique. Selon moi, on devrait connaître un black-out, vraiment quelque chose d’assez dense. Ça va se passer un peu comme quand Rome est tombée, en Europe. Il a fallu attendre Napoléon III pour avoir le même niveau d’hygiène publique dans Paris que la Rome antique, avec la pose des égouts. C’est quand même quelque chose, 1400 ans. Aujourd’hui il y a Facebook, il y a plein de trucs, mais il fait chaud, c’est un phénomène mondial. J’ai des amis un peu partout, et cet été, tout le monde a crevé de chaleur. Je ne vois pas ça de manière très optimiste.

Laure Phelin, ‘Testament Leste 666’ Lande Promise
Le Salon Vendetta & le festival Vendetta ta-ta-ta / Photo by Marc Tessier, 2023

“Et la vraie révolution va être écologique. Selon moi, on devrait connaître un black-out, vraiment quelque chose d’assez dense. Ça va se passer un peu comme quand Rome est tombée, en Europe.”

Donc tu penses qu’il va y avoir une catastrophe…

Une dégénérescence, progressive. Des maladies, des trucs, je ne sais pas. Parce que les gens ne veulent pas que ça s’arrête. C’est comme une machine qui ne fait qu’avancer. Tu sais, il faudrait sept miracles. Il faudrait que (1) tout le monde, (2) partout, (3) au même moment, (4) réalise, (5) comprenne, (6) accepte et (7) agisse. Mais le type qui a son loyer à payer, il a besoin de fric, tu comprends, il est pris dans la machine, c’est comme une roue qui tourne.

Dirais-tu que dans ta pensée tu es profondément écologiste, ou pas ?

Oui, dans un certain sens. Mais en même temps… Tu sais, mon ex, la mère de mon plus vieux, c’est une végane de type stalinien. Ce n’est pas vraiment la viande selon moi le problème. Considère tous les problèmes de l’humanité comme une rivière de merde, qui coule. Une rivière, ça se remonte. Et la base, au départ, c’est le fric, tout ça c’est à partir du fric. Le fric, pour moi, c’est la méta-injustice, l’injustice qui entraîne toutes les autres. La viande, ce n’est pas tellement le problème. Par exemple, prends mes parents, octogénaires, ils mangeaient de la viande bio sans le savoir, mais ils n’en mangeaient pas tous les jours. Le problème, c’est de vouloir fournir de la viande à tout le monde tous les jours, trois repas par jour. Il est là le problème. Une bagnole, en soi, c’est magnifique, mais pas des milliards de bagnoles partout. Oui, j’ai une conscience écologique, mais en même temps, j’aime bien une bagnole, c’est pratique. Je ne serais pas le genre à foutre tout le monde à pied, non.

C’est vrai que certains écolos ont un côté facho…

Oui, certains, mais c’est comme partout. Tu sais, mon ex, elle est végane, et elle a fait le serment à un moment donné de ne plus s’asseoir avec quelqu’un qui mange de la viande. Il y a du dogmatisme partout. Moi j’ai déjà entendu un végane, un copain d’amis, qui avait le même discours qu’Hitler avec les juifs, mais lui avec les gens qui mangent de la viande. La même chose : « ah, il faut les foutre au mur !… »

Et ta fascination pour les dignitaires nazis, est-ce que tu peux essayer de l’expliquer un peu ?

C’est d’être arrivé à pousser à bout l’horreur et la démagogie, mais d’une façon très esthétique. En même temps, il y a un côté qui me charme, c’est un peu bête à dire, de voir ces beaux uniformes, ces logos. Ça m’interpelle, parce que moi je suis quelqu’un de très rigoureux et planificateur.

Ça correspond un peu à ton esthétique en fait…

Oui, absolument.

Le Salon Vendetta & le festival Vendetta ta-ta-ta / Photo by Marc Tessier, 2023
Le Salon Vendetta & le festival Vendetta ta-ta-ta / Photo by Marc Tessier, 2023
Le Salon Vendetta & le festival Vendetta ta-ta-ta / Photo by Marc Tessier, 2023
Le Salon Vendetta & le festival Vendetta ta-ta-ta / Photo by Marc Tessier, 2023
Le Salon Vendetta & le festival Vendetta ta-ta-ta / Photo by Marc Tessier, 2023

Tu disais que tu n’avais pas de visée esthétique, mais tu n’en pas moins une esthétique singulière, assez proche de celle des esthétiques totalitaires…

Oui. Dans mon dernier livre, qui a été édité en anglais, j’ai fait des marges avec des svastikas, en miroir, déployés, il y a plein de symboles, j’ai tout mélangé en fait, les symboles juifs, francs-maçons, etc. Tu sais, les gens vont essayer de chercher les messages. Mais il ne faut pas chercher à comprendre au fond, j’ai juste fait ça pour jouer. C’est une globalité.

Et il y a une dimension de provocation aussi…

Oui, évidemment. Parce que le svastika, quand tu l’utilises, surtout dans le monde occidental, c’est un symbole très ancien qui a été dévoyé, corrompu, par les nazis. Moi j’essaie de le réhabiliter à ma manière, si on veut. Mais je sais très bien que quand tu utilises ça, c’est un frein. J’ai été surpris d’être publié au Canada anglais, parce que j’étais sûr que ce truc-là ne serait jamais publié. Nathalie, mon ex, m’avait dit : tu ne devrais pas mettre des svastikas, tu ne seras jamais publié.

Et pourtant, ils l’ont publié. Peut-être que maintenant, ça passe…

Moi je pense que oui. Au Canada anglais, oui. Parce qu’à un moment donné j’étais allé voir, il y a beaucoup de sites qui militent pour la réhabilitation de ce symbole-là, des bouddhistes, des gens qui disent : non, arrêtez de voir ça comme un signe nazi. Mais moi je l’utilise parce que c’est esthétiquement magnifique. J’ai fait des milliers de variations là-dessus.

Et tu disais que tu ne votais pas… Tu n’as jamais voté, ou ça t’est arrivé ?

À une certaine époque. Et puis finalement, non, je ne vote pas, non.

Le Salon Vendetta & le festival Vendetta ta-ta-ta / Photo by Marc Tessier, 2023
Le Salon Vendetta & le festival Vendetta ta-ta-ta / Photo by Marc Tessier, 2023

Dirais-tu que ta posture a quelque chose à voir avec l’anarchie ? Est-ce que ça t’intéresse, l’anarchie ?

Oui, absolument. Premièrement, pour moi, la politique, c’est des millionnaires qui jouent au ballon. L’anarchie, c’est une utopie. Ce qui est dommage c’est qu’on a éduqué les gens à penser l’anarchie comme étant synonyme de chaos, de guerre. Alors que ce n’est pas vrai du tout. C’est l’absence de pouvoir, tout simplement. En fait, c’est une utopie, parce que tu te dis : est-ce que c’est possible qu’il n’y ait jamais de pouvoir ? Il y a eu des expériences qui ont été faites où tu mets une vingtaine de personnes dans une salle et immanquablement tu en as certains qui prennent les devants et les autres suivent. Moi je pense que c’est un des drames de l’humain, c’est-à-dire qu’on est grégaires et la grégarité c’est un paradoxe : on veut tout faire pour intégrer le groupe mais en ne pensant qu’à ses propres intérêts. Par exemple, il y a un mec que je connais, qui travaille dans le centre-ville, dans un truc d’analyse et de nettoyage des sols, donc a priori c’est écologique, et pourtant il va travailler en bagnole alors même qu’il y a un métro à côté de chez lui et un métro à côté de son boulot. Et il invoque un paquet de prétextes, lui qui a en principe tout pour être conscientisé et qui pourrait très bien décider d’aller travailler en métro. Mais ceci dit, moi, avec de l’argent, si je me retrouvais à la campagne, j’aurais une putain de bagnole, je serais motorisé, je me connais.

Où vis-tu exactement ?

Moi je vis dans un garage, à Montréal, chez ma fille, près du métro Joliette, un peu l’équivalent de la Bastille. J’ai un garage où j’ai posé des toilettes, un bain, deux lavabos, j’ai tout isolé, et c’est une gestion de l’espace à la japonaise. Mais je ne paie presque rien.

Et à nouveau ce n’est pas qu’un logement, c’est aussi ton atelier, ton studio…

Oui, c’est tout en même temps. Parfois je mange dans mes collages… Beaucoup de gens ne seraient pas capables de faire ça. Mais je suis quelqu’un de très organisé. Même si je n’en ai peut-être pas l’air, je suis quelqu’un d’assez strict en fait. Tu vois, mes BD, mon prochain livre, il n’y a rien au hasard. C’est un chaos calibré, si on veut.

Et pour en revenir à l’anarchie, c’est une idée importante pour toi, même si c’est une utopie.

Oui.

Dirais-tu que tu es anarchiste ?

Bonne question… Non, je ne suis pas vraiment à cent pour cent anarchiste. Mais ça dépend de l’idée que l’on se fait de l’anarchie. Pour moi, l’anarchie, ce n’est pas le chaos, il y a des règles. Je ne sais pas. Cela dépendrait de quelle sorte d’anarchie tu parles.

Et toi, alors, de quelle anarchie te sens-tu vraiment proche ?

Je l’appellerais une « anarchie fantasme ». Un rêve onirique de voir tous ces gens s’organiser sans avoir un patron, faire ce qu’ils veulent et tout. Mais comme je te le disais, je pense que la plupart des gens – c’est le côté grégaire – sont insecures, ont des peurs, donc ont besoin d’un patron. Ce n’est pas la cause du système, c’est le résultat. On a besoin de ça.

Et toi, te sens-tu grégaire, ou au contraire es-tu le mouton noir ?

Moi, à m’écouter, je ne verrais jamais personne. Et les alcooliques anonymes m’aident beaucoup pour ça, depuis que j’ai arrêté de boire et que j’y vais régulièrement. Il faut absolument que je voie des gens au moins une fois par semaine. Parce qu’à m’écouter je suis fondamentalement asocial.

Misanthrope ?

Misanthrope, je l’étais. Maintenant, j’aime l’humain. Mais pendant longtemps, je n’étais pas loin d’être misanthrope. Depuis dix ans, ça m’a réconcilié avec tout ça. Parce que moi, il y a dix ans, quand j’ai arrêté de consommer, je ne voyais plus personne. J’étais dans un petit réduit et je passais des semaines sans voir personne.

Et je buvais.

Drogue aussi ?

Non. Cigarettes, alcool.

Tu as arrêté les deux en même temps…

Oui. Je n’ai pas eu le choix.

Mais malgré ce côté isolé, ou solitaire, en revanche, dans ta manière de t’exprimer, tu es jovial, tu es un charmeur…

Oui, j’ai un côté social, depuis toujours.

Donc, tu es quelqu’un qui aime vivre seul, mais quand tu es en société, tu donnes le change…

Oui, mais ça, ça vient beaucoup de ma famille. Ma mère, malgré l’image de quelqu’un de vraiment cool, est en réalité une personne très autoritaire, contrôlante, de sorte que moi, ça m’a amené à être très habile, à dire toujours ce que l’autre veut entendre. J’ai des difficultés à dire non. Parce qu’à elle, quand tu disais non, c’était la guerre atomique. L’équation était : si tu es contre moi, tu es mon ennemi. Tu n’argumentais pas avec elle, jamais. Par conséquent, j’ai déçu beaucoup de gens, parce que mes actions souvent ne correspondent pas à mes paroles. Mais maintenant, je le sais, et j’essaie de faire des efforts. C’est ce que j’ai expliqué à Bolino, parce qu’il disait : ah, on ne te voit plus, tout ça. Là j’ai fait un effort pour venir en France pour les vingt-cinq ans du Dernier Cri. Ça a mis un mois à prendre la décision. Actuellement, à Paris, c’est une orgie de social pour moi. Quand je suis à Montréal, je vais à ma petite réunion des alcooliques anonymes une fois par semaine, puis je vais chez une amie, et j’en ai assez. Après, du dimanche au vendredi, je ne vois personne. Je travaille.

Le travail artistique, c’est obsessionnel…

Oui, c’est une obsession-compulsion.

Tous les jours tu dessines…

Absolument. Et quand j’écoute la télé, c’est que je suis vraiment très fatigué. Et puis, c’est toujours des films, jamais autre chose. Finalement mon univers reste simple et limité.

Et là, en ce moment, as-tu le temps de dessiner ?

Non, là je ne dessine pas. Quand je vais rentrer, je m’y remettrai.

Et voyages-tu beaucoup ?

Ça c’est une autre question, c’est une bonne question. J’ai perdu beaucoup de motivation à voyager. Avant, ça m’excitait, mais j’ai moins de motivation. C’est comme là, avec ce séjour en France, j’ai eu ma dose pour les cinq prochaines années, minimum. Pakito voudrait que je revienne pour un truc à Bordeaux. Il faut que je lui dise : écoute, Pakito, on se revoit dans quelques années. Et puis, on vieillit aussi, tu sais, moi je vais avoir soixante ans. Je m’ennuie de mes pantoufles.

De quel milieu social tes parents étaient-ils issus ?

C’étaient des fils et filles d’agriculteurs qui ont passé leur vie à essayer de faire croire qu’ils n’étaient pas des fils et filles d’agriculteurs. C’est cette génération-là, surtout au Québec. Et eux, c’étaient des gens qui se sont battus pour la création des syndicats. En fait, la société québécoise, si on veut, en 1950, était un peu comme les Français en 1900. Tu sais, la séparation de l’Église et de l’État, les syndicats, tout ça, nous c’est arrivé dans les années 1950. Mes parents, c’est la dernière génération où la religion avait une emprise énorme sur la société du Québec.

Eux, ils étaient très antireligieux…

Oui, anticléricaux, antireligieux, vraiment, complétement.

Des vrais communistes. Tu disais l’équivalent des communistes…

Il n’y a pas de parti communiste au Québec. Mais la mentalité de mes parents, c’est qu’ils sont très frustrés, par exemple, par tout ce qui s’appelle l’élite bourgeoise, friquée, qui, à leurs yeux, accapare les ressources. En même temps, mes parents ne sont pas des gens qui ont une ouverture d’esprit. Moi, c’est récent qu’ils me considèrent comme un artiste. Avant, ils me disaient plutôt : non, ne perds pas ton temps à dessiner, vas traire les vaches… Mon père et moi, on est complètement à l’opposé du spectre. Lui c’est un comptable qui a subi sa vie tous les jours, qui haïssait la comptabilité, qui haïssait les anglophones, qui haïssait les juifs anglophones. Il était comptable pour des juifs anglophones…

Antisémite ?

Non, pas vraiment antisémite. Je dirais plus : xénophobe. C’est-à-dire que le manque d’ouverture d’esprit les amène à se rapprocher de leur clan et donc à rejeter l’étranger.

Et toi, ça n’a jamais été ton cas ?

Non. Mais sauf que eux, cette génération-là, ils étaient déjà très avancés au niveau de leur pensée sociale par rapport à la norme de leur époque.

Donc ils étaient arriérés pour l’ouverture à l’étranger, mais avancés pour les questions sociales, et ils n’arrivaient pas à faire la connexion entre les deux…

Non, ils ne l’ont jamais faite. Mais il faut dire que le Québec de la fin des années 1950 était très similaire à la décolonisation d’Afrique, c’est-à-dire une population extrêmement jeune qui voulait un morceau de gâteau. Mais le Québec a ceci de particulier, qu’on est des colonisateurs qui ont été colonisés. On est comme dans un oignon, mais au milieu, c’est-à-dire entre le cœur, qui est les autochtones, et les angloaméricains, qui sont extérieurs.

Donc ton père était comptable, et ta mère ?

Elle a fini par travailler comme caissière dans une pâtisserie. Mais le pire, c’est que moi, mon père, je l’ai vu subir sa vie, je l’ai vu subir tout, toute sa vie, mais il n’a jamais pris une seule décision de changer quoi que ce soit. Et c’est ça, moi, que je trouve fascinant. À quel point l’individu peut endurer une situation qui au départ est inconfortable, ou même négative pour lui, et il va préférer endurer ça que de faire le saut pour être libre. Parce que cette sortie, elle est effrayante pour ces gens-là. Mais tout ça, c’est du conditionnement.

C’est le conformisme. Ton père est un conformiste.

Exactement.

Sauf peut-être pour la politique, pour leur engagement.

Leur engagement social, de syndicalistes, était assez exceptionnel pour l’époque.

Et toi, as-tu exercé des métiers salariés au cours de ton existence ?

Oui, au début, quand j’étais jeune. J’ai été préposé aux malades dans un hôpital. Mais moi, mon problème, c’est que j’ai toujours eu beaucoup de difficulté avec la figure paternelle : employeur, propriétaire, même conjoint, de sorte que ça a été le bordel toutes les fois.

Donc, tu es vraiment un anarchiste, au sens propre, tu rejettes toute figure de pouvoir.

Oui.

D’où ta fascination pour les figures d’Hitler et des dignitaires nazis : d’un côté, il y a chez toi une attirance sans doute esthétique, mais, d’un autre côté, c’est en quelque sorte la manifestation extrême de tout ce que tu hais, de tout ce que tu rejettes.

Oui. C’est ça. Mais en même temps, moi, ça me fascine. Surtout qu’en fait, eux, ils ont poussé l’esthétisme assez loin, c’était simple, efficace…

Et l’imagerie de l’Union soviétique ?

Oui. Ils étaient forts aussi. Mais le problème, c’est la moustache de Staline. J’ai beaucoup de difficulté à faire le portrait de quelqu’un qui a une barbe ou une moustache.

Hitler aussi a une petite moustache…

Oui, mais ses amis sont intéressants. Hitler, j’ai fait peu de portraits de lui en fait. Mais j’ai surtout beaucoup trafiqué les autres. Dès qu’il n’y a pas de moustache, moi ça va, mais quand il y a une moustache… Cependant, j’ai un projet de faire un portrait de Staline, depuis longtemps.

Et dans ce cas, les portraits que tu fais, c’est plutôt de la peinture ?

Ce sont des étages. C’est-à-dire que c’est de la peinture, mais pas au sens classique du terme. Par exemple, récemment, j’ai fini quelque chose où l’image est formée par des étages de morceaux de carton, avec le fond du tableau qui est troué.

Tu n’aurais pas le projet de faire un livre uniquement avec des portraits de dignitaires nazis ?

Oui, ce serait bien !

Au Dernier Cri, tout en sérigraphie !…

Oui, je vais faire ça. Tu me donnes une idée. Je vais dire : d’après l’idée géniale de Xavier-Gilles Néret !… Ah ah ah !…

Pour en revenir au travail salarié, tu disais que c’était quand tu étais jeune…

J’ai travaillé aux Foufounes, qui était quand même moins pire qu’un milieu de travail ordinaire. Et je suis devenu sérigraphe, à mon compte. Et maintenant, depuis 2000 à peu près, je suis assisté social, je touche une petite somme.

Et le reste de tes revenus, c’est ton mécène, juste une personne…

Oui, c’est mon mécène. Je pourrais vivre sans lui. Mon B.S. [« bien-être social », l’équivalent du R.S.A.] me le permettrait. Mais disons qu’il me tient la tête en haut de l’eau.

De toute façon, tu n’es pas un grand consommateur…

Non, en effet… Mais j’ai un vélo !…

Tu vis simplement…

Oui, voilà. À l’occasion, je peux claquer mon fric, par exemple, dans du matériel pour peindre. À l’occasion mais rarement. Sinon, réparation du vélo, ou d’autres trucs… Là, je me rends compte qu’en revenant au Québec, il faudrait que je me rachète des fils, pour faire un peu de noise bizarroïde.

Quand tu vois ton avenir, tu vas continuer à dessiner, à faire des livres…

Oui, je ne pense pas que je vais changer vraiment. Je pourrais faire plus de pub, mais pour moi c’est abstrait tout ça. Je vois ça comme une dinde qui pond un œuf, après elle prend le camion pour aller au marché vendre ses œufs. Moi, mon plaisir, c’est de faire le tableau. Une fois qu’il est fait, j’en fais un autre. Je ne prends pas le téléphone. Je ne vais jamais dans les vernissages à Montréal. Ça ne m’intéresse pas vraiment, parce que c’est toute une partie de connexion, de pistonnage. Pour moi, non, c’est abstrait. J’ai l’impression que je vais finir quand même par être reconnu – je le suis déjà un peu –, mais plus tard. C’est sur le long terme cette affaire-là, j’imagine.

Et quant au Dernier Cri, tu te sens assez proche de Pakito, c’est une sorte de frère…

Oui.

Et y a-t-il d’autres gens du Dernier Cri dont tu te sens proche ?

Fredox et Laetitia. Ceux qui ont un peu mon âge en fait. Les plus jeunes, je ne les connais pas. Je viens rarement à Paris. À Montréal, on est tous aux portes de la vieillesse, ceux que je connais ont entre cinquante-cinq et soixante-cinq ans. Il n’y en a pas beaucoup. Il n’y a personne d’autre que moi qui est au Dernier Cri. Certains font de la BD, mais il n’y en a plus qui continuent en fait.

Ils ont arrêté, ils sont passés à autre chose…

Oui. Ou ils vont travailler. Ou j’en connais qui font dans l’art contemporain. Ils gagnent leur vie là-dedans. Mais c’est fini les graphzines trash et tout. Ils font de belles installations…

Des trucs qui se vendent aux institutions…

Exactement.

Et ça, ça ne t’a jamais tenté, toi ?

Non.

L’art contemporain, ça t’intéresse ?

Non. Longtemps j’ai tout rejeté en bloc. Mais à un moment donné j’ai participé avec mes BD à une exposition collective au Québec, dont le thème était très intellectuel, la révolte ou quelque chose comme ça, je ne me souviens plus exactement, et j’y ai vu une installation d’un Sud-Américain qui m’a un peu réconcilié avec l’art contemporain. À partir de déchets il construisait une favela, et il expliquait que plus de la moitié de la population mondiale vivait là-dedans. Depuis je suis moins catégorique. Je prends les œuvres qui passent devant mes yeux un peu à la pièce, c’est-à-dire que soit je ressens quelque chose, soit je ne ressens rien. Je ne peux pas dire aujourd’hui que je rejette complètement l’art contemporain, non, je pense qu’il y a des choses intéressantes.

Et toi, préfères-tu travailler seul ou avec un éditeur ?

Je préfère travailler seul. Si on me le proposait, je ne ferais pas de la commande. Je ne travaillerais pas avec un éditeur qui viendrait me voir pour me dire : fais donc un truc dans ce genre-là… Non. Mais de toute façon, ils ne m’approchent jamais.

C’est-à-dire que l’éditeur est un exécutant de ton travail…

Dans un monde idéal, oui. Mais mon Nitnit, en français, je doute qu’il y ait un seul éditeur qui ose le publier… Pourtant, je pense qu’on a le droit à la satire. C’est un droit. En tout cas, en anglais, Nitnit va être édité. C’est déjà bien.

On le trouvera en France, dans quelques bonnes librairies…

Oui, sûrement, ou sur le web. Mais ça va être un livre rare. Toi, je vais t’envoyer le PDF en français, tu l’auras en électronique.

Mais j’essaierai de trouver le livre, parce que j’aime les livres en papier…

Évidemment. Quand j’ai fini Le Palais dé Champions, je pensais le vendre en livre électronique, mais les gens ne veulent pas les livres électroniques, ils le veulent en support papier.

Oui, c’est mieux ! Et que penses-tu du livre publié par L’Association, Ab Bédex Compilato, qui reprend tes anciens ouvrages en un seul volume ?

Ah, oui, c’est bien. Déjà, j’étais vraiment surpris qu’ils le fassent… Les ouvrages repris sont complets. J’ai peut-être même fait quelques remaniements pour insérer des planches que je n’avais jamais réussi à mettre ailleurs.

Et ce livre est-il diffusé au Canada ?

Oui, il est disponible en librairie. J’espère qu’ils le vendent encore. J’imagine. Je sais que depuis que c’est Killofer, c’est comme une autre affaire, L’Association. Mais tu vois, moi j’étais sûr que mon dernier livre Le Palais dé champions allait passer comme une lettre à la poste, mais non, ils ne l’ont pas édité. C’était Stéphane Blanquet, à un moment donné, qui était supposé le faire. Mais comme je ne suis pas en France pour cogner aux portes… Quoi qu’il en soit, ça ne s’est pas fait.

Et Blanquet, tu le connais bien ?

Oui, Je l’ai rencontré à quelques reprises. Il avait édité une petite plaquette à l’époque de Chacal Puant.

Tu as été bien reçu en France, édité par Le Dernier Cri, Chacal Puant, Sortez La Chienne, L’Association, etc. As-tu pensé t’y installer ?

Oui. Mais le problème c’est qu’avant j’avais l’illusion mais pas la motivation, aujourd’hui, c’est le contraire, j’aurais la motivation mais pas l’illusion. C’est-à-dire que quand j’étais aux Foufounes, c’était plus un fantasme : oui, je voudrais foutre le camp et aller en France, mais quand tu as des enfants, un boulot, tout ça, ce n’est pas évident… Aujourd’hui, je pourrais très bien venir en France et vivre de ce que je fais, mais en même temps, si c’est pour vivre serré à Paris, j’aime mieux rester où je suis, il y a plus d’espace.

Peux-tu me parler des Foufounes Électriques ?

C’est un club de bands, une salle de concert, punk, rock. Un peu comme le CBGB à New-York. De grosseur, je dirais, intermédiaire, pas petite mais moyenne, assez grande. Il y avait presque des concerts sept jours sur sept à un moment. Beaucoup de bands sont passés par là. Un lieu important.

Et toi, que faisais-tu là-bas, à part les affiches ?

J’étais graphiste, je faisais les pubs, les affiches, les designs des tee-shirts, un paquet de trucs. Ce lieu existe encore. Mais la belle période, on l’a connue, je dirais, les dix ou quinze premières années, de 1984 à 1997. Il y a eu une fermeture à un moment donné dans ces années-là.

Y a-t-il eu des livres sur ce club ?

Non, je ne pense pas. C’est le problème du Québec, on n’accorde pas vraiment d’importance à ces choses…

Le graphisme que tu y faisais, c’était intéressant, ou c’était juste pour gagner ta vie ?

C’était intéressant, parce que j’avais semi-carte blanche, je dirais.

As-tu gardé des archives de tes travaux ? Tu as tout ?

Oui.

Donc éventuellement, tu pourrais faire un livre sur cette époque, avec toutes les affiches que tu as faites…

Oui. De ce que moi j’ai fait avec mes designs, parce que j’en ai fait un paquet d’autres à partir des images des bands. Mais eux ont des archives de tous les trucs qui se sont passés, des archives papier. Et moi je trouve dommage qu’ils n’aient pas d’archives visuelles des films. Il y a un mec qui a filmé beaucoup d’événements, mais il garde tous ses trucs pour lui. C’est ça qui est dommage. Moi-même j’ai voulu avoir certains documents, parce que j’ai eu un band de musique, et j’ai joué là-bas, mais ça a été impossible d’avoir quoi que ce soit.

Même avec les artistes, il ne les partage pas…

Non. J’imagine qu’il attend d’aller jusqu’au cimetière avec ça.

Et le pire, c’est que quand ce type va mourir, sa veuve va probablement tout mettre à la benne, comme ça arrive souvent…

Exactement. Tu sais, les archives, c’est fait pour être partagé. Il y a quand même un mec qui compile tout ça, et à un moment donné il m’a demandé ce que j’avais sur les Foufs, et j’ai envoyé toutes mes affiches, tout ce que j’avais de matériel visuel à moi, j’ai tout nettoyé. Il était très content, il ne s’attendait pas à ça. Parce que les affiches sont dans une boîte, au sous-sol, ils s’en foutent un peu, c’est triste. Ils avaient une mine, ils avaient des trucs magnifiques là-dedans. Moi j’ai même eu Kurt Cobain à côté de moi, pendant un après-midi, juste avant qu’il ne devienne célèbre.

Pour finir, une dernière question : quels sont les artistes qui t’ont le plus marqué ?

Moi je te dirais, au départ, dans le désordre, Hans Bellmer, ça a été un choc, et George Grosz… Ensuite il y a Willem, dans la BD, et puis aussi Crumb, évidemment, Hergé, il ne faut pas l’oublier, j’ai un immense respect pour lui, même si c’est un néo-colonialiste d’extrême-droite crypto-gay, il a tous les défauts, mais…

Nitnit, c’est un hommage.

Oui, absolument. Il faut voir ça comme quelque chose fait avec un immense respect, même si l’histoire est terriblement odieuse, mais on ne se surprend pas des répliques dans la bouche des personnages, c’est naturel. Et en même temps, j’ai respecté la structure de l’histoire d’Hergé. Je les connais par cœur les Tintin, presque. Je les ai lus enfant. C’est un grand respect, mais je ne suis pas sûr que tout le monde voit ça de la même façon…

Bellmer et Grosz sont tes deux phares…

Oui, mes deux fortes influences. Quand j’ai vu leurs tableaux, adolescent, je suis resté scotché, Bellmer surtout, avec la sexualité… Ça c’est la classe, Bellmer.

Et est-ce que tu lis ?

Pas beaucoup. Non, malheureusement, je ne suis pas très lecteur. Moi, je regarde les images, comme un enfant…


VALIUM FOR EVER DU VALIUM POUR TOUJOURS


henriettevalium.com


neret
Xavier-Gilles Néret ‘Graphzine-Graphzone’ 2019

Pour ceux qui veulent voyager au centre de l’histoire graphique underground. “Graphzine Graphzone” est la première étude approfondie consacrée aux graphzines préparée par Xavier-Gilles Néret.

GRAFZINE GRAFZONE


Matcho Girl Olivia Clavel & Les Aventures De Télé

Olivia Clavel, 1980

Faut-il l’ajouter : Olivia est la dessinatrice de BD la plus mo­derne, la plus en avance, celle dont la sensibilité est la plus ai­guë. Il serait temps que les femmes lectrices de BD com­mencent à s’en apercevoir. Ça vient.

EN 1973, à Actuel, on vit se pointer une jeune fille de dix-sept ans, timide et déjà un peu trop parano, qui amenait des dessins pas possi­bles, au trait proche de ceux des enfants, avec des scénarii bizarroïdes. Pour certains, dont je fus, il fallut plusieurs histoires pour être convaincus que c’était génial. On la publia. Elle était aux Beaux-Arts avec une bande de mecs qui vou­laient tout casser. Ils firent un fanzine dont le retentissement allait être retardé de quelques années, Bazooka. De son coté, la jeune fille créait Loukhoum Breton, qui n’eut qu’un nu­méro. Le groupe était né, dont elle resta la seule fille.

Olivia Clavel a vingt-cinq ans. Elle a vécu l’aventure bazookienne, ses hauts et ses bas, son délire et ses galères, sa gloire et ses coups durs jusgu’au bout, en 1979. Au­jourd’hui, elle travaille seule. On la voit régulièrement dans ce journal et son grand frère Hara-Kiri. De temps en temps, une illustration par-ci par-là. Question albums, il y a tou­jours l’admirable « Gloria Spontex » (avec Loulou et Kiki Picasso) chez Futuropolis (1977), et le Dernier Terrain Vague vient de publier son pre­mier recueil personnel, la grande saga des aventures de Télé, ce personnage à tête de télévision qui ressemble tant à l’auteur. Titre : Matcho Girl. Pourquoi ? Eh bien, l’ami Berroyer a expliqué qu Olivia était « pédé comme une otarie ».

Faut-il l’ajouter : Olivia est la dessinatrice de BD la plus mo­derne, la plus en avance, celle dont la sensibilité est la plus ai­guë. Il serait temps que les femmes lectrices de BD com­mencent à s’en apercevoir. Ça vient.


Negative: Olivia Clavel, Matcho Girl

Is it necessary to add it: Olivia is the most modern comic strip artist, the most advanced, the one whose sensitivity is the most acute. It’s time for female comic book readers to start realizing it. It’s coming.

IN 1973, at Actuel, we saw a young seventeen-year-old girl show up, shy and already a little too paranoid, who brought in impossible drawings, with a line similar to those of children, with bizarre scenarios. For some, including myself, it took several stories to be convinced it was great. We published it. She was at the Beaux-Arts with a bunch of guys who wanted to smash everything. They made a fanzine whose impact was going to be delayed for a few years, Bazooka. For her part, the young girl created Loukhoum Breton, which only had one number. The group was born, of which she remained the only daughter.

Olivia Clavel is twenty-five years old. She lived the Bazookian adventure, its ups and downs, its delirium and its galleys, its glory and its hard times until the end, in 1979. Today, she works alone. We see her regularly in this newspaper and her big brother Hara-Kiri. From time to time, an illustration here and there. Question albums, there is always the admirable “Gloria Spontex” (with Loulou and Kiki Picasso) in Futuropolis (1977), and the Last Terrain Vague has just published his first personal collection, the great saga of the adventures of TV, this character television head who looks so much like the author. Title: Matcho Girl. Why ? Well, friend Berroyer explained that Olivia was “fag like a sea lion”.

Is it necessary to add it: Olivia is the most modern comic strip artist, the most advanced, the one whose sensitivity is the most acute. It’s time for female comic book readers to start realizing it. It’s coming.


Olivia Clavel, Bande Dessinée

Explique toi please !

O.C. : Je vais faire un petit journal, c’est Loulou Picasso qui va s’occuper de toute la partie technique. Il y aura des crobards, des polaroids, des articles, des interviews, un peu comme un cahier de dessin. Tiré sur offset, ce sera distri­bué à très peu d’exemplaires. Ce sera pour les filles essentiellement. Je vais faire ça pour le pied ; faire un journal de BD pour gagner de l’argent, c’est dur. Ce qui me permet de gagner ma vie, ce sont mes BD dans Charlie, dans Métal, dans Sandwich. Pas avec ce petit journal. Un regard moderne ou Bulletin périodique, ça ne nous a pas fait vivre, mais en même temps c’était super de faire ça. Et ça a influencé plein de gens…


O.C : I’m going to write a little diary, it’s Loulou Picasso who will take care of all the technical part. There will be crobards, polaroids, articles, interviews, a bit like a sketchbook. Printed on offset, it will be distributed in very few copies. It will be for girls mainly. I’m going to do this for the foot; making a comic book to earn money is hard. What allows me to make a living are my comics in Charlie, in Metal, in Sandwich. Not with this little diary. A modern look or periodic bulletin, it didn’t make us live, but at the same time it was great to do that. And it influenced a lot of people…


Olivia Tele Clavel, Bande Dessinée

Et ça continue… En ce mo­ment, à part Charlie, on ne te voit plus beaucoup dans les Journaux. Tu en avais marre ?

O.C. : J’ai eu une période diffi­cile dans ma vie, Je n’avais pas d’appart’ fixe, j’etais malade. Je produisais peu. Bazooka s’est arrêté, on s’est séparés. On allait mal, on a erré à droite et à gauche. Bon, maintenant, j’ai un appart’, ça repart. J’ai fait une pochette de disque, an groupe de filles suédoises, des filles de dix-huit ans, punks mais sympathiques. Là, je n’ai pas honte ; Kiki Picasso, lui, il avait même fait la pochette de Nicoletta : un peu dur !

Tu ne fais jamais de pub ?

O.C. : Non, je ne peux pas en faire, ce n’est pas une question de morale, c’est pour la simple raison qu’on ne peut me faire de commande. Par exemple, si on me demande de dessiner un rasoir ou un pot de lait, je ne peux pas. Je ne peux faire que ce que j’ai envie. Donc pas de pub. Et en plus, mon dessin n’est pas très pub.


And it goes on… At the moment, apart from Charlie, we don’t see you much in the Newspapers anymore. Were you fed up?

O.C.: I had a difficult time in my life, I didn’t have a fixed apartment, I was sick. I produced little. Bazooka stopped, we separated. We were going badly, we wandered right and left. Well, now I have an apartment, it starts again. I did a record cover, a group of Swedish girls, eighteen year old girls, punks but friendly. There, I am not ashamed; Kiki Picasso, he had even made the cover of Nicoletta: a little hard!

Do you ever advertise?

O.C.: No, I can’t, it’s not a question of morality, it’s for the simple reason that I can’t be commissioned. For example, if someone asks me to draw a razor or a jug of milk, I can’t. I can only do what I want. So no ads. And in addition, my drawing is not very publicity.


Lulu Larsen et Olivia Clavel raccontent brievement Bazooka
Bazooka mag.

Est-ce que tu arrives quand même à t’en sortir financière­ment ?

O.C. : Assez mal en ce moment, mais je commence à y arriver. Du temps de Bazooka, on ga­gnait plus d’argent. Il y avait Libération tous les mois… Mais mon livre va se vendre (rires) ! Et il y a d’autres circuits que le monde de la BD, les filles vont l’acheter…

Tu as l’impression que les filles aiment lire la BD mo­derne ?

O.C. : La nouvelle génération, genre fille de dix-huit ans, oui.

Je suis pessimiste. J’avais l’impression qu’il y allait avoir une énorme révolution. Dans les débats, dédicaces, ou à An-goulême, quand une fille vient, c’est toùjours pour accompa­gner son Jules, comme au foot. Avec l’éclatement de la BD, le succès des dessinatrices, Je croyais que ça allait changer, mais non. Depuis dix ans, ça n’a pas bougé d’un poil. Pour la plupart des femmes, le tabou demeure : la BD, c’est pour les enfants et les débiles,. Tu crois qu’on en sortira un Jour ?

O.C. : Oui. Les copines de ma sœur, par exemple, qui ont dix-huit-vingt ans, lisent les BD. Donc, rien n’est perdu (rires).


Olivia Tele Clavel, Bande Dessinée

Do you still manage to get by financially?

O.C.: Pretty bad right now, but I’m starting to get there. In Bazooka’s time, we made more money. There was Liberation every month… But my book will sell (laughs)! And there are other circuits than the world of comics, the girls will buy it…

Do you think girls like to read modern comics?

O.C.: The new generation, like an eighteen-year-old girl, yes.

I am pessimist. I felt like there was going to be a huge revolution. In debates, dedications, or in An-gouleme, when a girl comes, it’s always to accompany her Jules, like in football. With the explosion of comics, the success of designers, I thought that was going to change, but no. For ten years, things haven’t changed a bit. For most women, the taboo remains: comics are for children and the weak. Do you think we’ll get out of it one day?

O.C.: Yes. My sister’s friends, for example, who are 18, read comics. So nothing is lost (laughs).


Olivia Clavel, bande dessinée

Il y a combien de temps que Bazooka s’est dissous ?

O.C. : Un an-deux ans. Les der­niers travaux communs, ça a été le générique de « Chorus » et un journal dans un disque qui s’appelait « la Perversita ». Loulou continue, il vient de faire une expo importante. Lulu Larsen, je ne sais pas bien… Kiki Picasso, ça va très bien pour lui, il est marié, père de famille, il fait de la pub et…


How long ago did Bazooka disband?

O.C.: One year-two years. The last joint works were the credits of “Chorus” and a diary in a record called “La Perversita”. Loulou continues, he has just done an important exhibition. Lulu Larsen, I’m not sure… Kiki Picasso, things are going very well for him, he’s married, a father, he advertises and…

N’oubliez pas de visiter la fan-page de l’artiste pour plus d’oeuvres et de bandes dessinées:

oliviaclavel.art

The Olivia “Télé – No sport” Clavel Fanclub


Antifa: Chasseurs De Skins (2008)

Résistance Films 2008

During Paris early 80s, the “Skinhead” movement arrives in France, and is about to defray the chronicle for the decade to follow, with their provocations, attacks and racist crimes.

Street gangs will form and react against this assault, in a urban warfare for control of the streets of Paris. They are the Red Warriors, the Ducky Boys and Ruddy Fox. Paris youth will nicknamed them “Skinheads Hunters”.

Their motivation: to fight against fascism and racist acts by any means necessary, even turn against their opponents the violence they have suffered.

Through exclusive interviews, members of the most recognized gangs return to their history, their commitment and deliver the testimony of the situation of youth street from 20 years ago.

Using exceptional archives footages and photographs, “ANTIFA” is a return to the streets of the 80s and the society of that time.

The film looks at a pivotal time, in a generation whose ailments were already warning of urban today’s tensions.
Resistance Films revealed this story through the documentary, to keep track of a movement never documented.


A film directed by Marc-Aurèle Vecchione – Résistance Films 2008

The story of the Street Gangs from Paris that stood up against Fascist & neo-Nazis Skinheads in the late 80’s. Meet the Red Warriors, Ducky Boys, Ruddy Fox…!!

RESISTANCE FILMS